En Afrique, en plus de briser des frontières géographiques en rapprochant les internautes, la maîtrise du code et de l’informatique permet de mettre à bas d’autres murs, moins visibles : ceux des inégalités hommes / femmes, de l’insertion professionnelle ou encore entre les classes sociales. Si les structures traditionnelles d’enseignement se voient concurrencées par de nouvelles formations, le chemin vers la démocratisation de l’apprentissage du numérique est encore long, et coûteux.
« Il y a cinq ans, la formation au numérique était encore une denrée rare. Mais depuis, on a beaucoup de cours en ligne, un certain nombre de communautés se créent et des espaces de coworking facilitent l’apprentissage », s’enthousiasme Marie-Pascale Bayé. Cette jeune animatrice d’un centre de coworking d’Abidjan, Ovillage, a un parcours singulier : en échec scolaire au moment de passer son bac à plusieurs reprises en vain, elle est « tombée dans le digital par bonne chance ». Travailleuse acharnée, elle fait partie de ces jeunes autodidactes qui se sont formés à l’informatique par eux-mêmes, en passant leurs soirées sur des MOOCs ou à s’escrimer sur un ordinateur.
Vers un écosystème d’apprentissage performant
Mais à en croire cette jeune connectée, la donne est en train de changer, et au-delà de son seul pays. « L’écosystème d’apprentissage est encore très sensible, mais beaucoup de travail est fait, les jeunes ont de plus en plus accès à internet, utilisent les réseaux sociaux : l’atmosphère est propice au développement par rapport à il y a 3 ans ».
Ce développement semble briser de plus en plus de frontières, à commencer par celles entre les pays et les régions. Si la maîtrise de l’anglais offre un certain avantage aux pays anglophones, qui bénéficient de nombreux supports, les coopérations se développent à l’intérieur des espaces linguistiques. « Il n’y a aucune différence entre un codeur algérien et un codeur d’un autre pays en Afrique, car le code est le même langage partout ! » s’enthousiasme Karim Embarek, fondateur de l’agence de communication XMedia.
Autre frontière qui bouge, les programmes pour initier les femmes au numérique et à l’entreprenariat se multiplient, à l’instar de She Is The Code en Côte d’Ivoire, qui ambitionne de former et insérer 50.000 femmes de 18 à 35 ans d’ici 2020. « Aujourd’hui, les filles qui ont la chance d’intégrer les grandes écoles s’affirment, elles sont premières de leur classe mais n’ont pas toujours l’opportunité de se faire connaître. Il y a donc beaucoup de femmes dans le domaine technique, mais elles ne sont pas connues, comme si elles n’étaient pas dans le secteur », diagnostique Azimath Adjassa, fondatrice de SunuStartup, une plateforme promouvant l’entreprenariat féminin.
Cette jeune entrepreneure béninoise basée au Mali se montre plutôt optimiste quant au développement de la formation au numérique sur le continent, en particulier pour les femmes. « Beaucoup de choses ont changé depuis dix ans, et même si les femmes ont encore du mal à aller de l’avant, il faut créer un esprit de soutien, qu’on parle de leurs projets intéressants », explique-t-elle avec méthode. Concrétisation de ce projet, sa structure vient de nouer un partenariat avec Objis, structure de formation au code dans de nombreux pays d’Afrique francophone, afin d’offrir une formation au numérique à une femme ivorienne.
Même si, de l’aveu d’Azimath Adjassa, « les choses vont plus lentement en Afrique francophone » que dans le reste du continent, des initiatives encourageantes se mettent donc en place pour généraliser les coopérations entre différents pays. Son partenaire, Objis, mène de son côté un programme nommé « 10.000 codeurs » au nom explicite, visant à donner plus de 500 heures de formation à des futurs spécialistes de JAVA dans 14 pays d’Afrique francophone.
Le défi des débouchés
Mais si la firme garantit 95% d’insertion du personnel formé après 6 mois, la question des débouchés reste problématique à l’échelle du continent.
« De manière générale, l’enseignement du numérique reste plutôt privilégié en Afrique vu le rapport qu’il y a entre ce qu’on doit dépenser dans une école pour apprendre le code et ce que vous avez comme débouchés. Une formation qui coûte 2 millions de francs CFA par an (environ 3.000€) reste trop élevée vu les difficultés d’insertion, donc certaines vont plutôt rester à la maison », déplore Mme Adjassa.
Car une barrière qui persiste reste celle des réalités des économies africaines. « Il y a toujours des difficultés pour adapter les formations aux besoins réels, on ne tient pas toujours compte des débouchés ou de comment adapter la formation à ce dont les Africains ont besoin, on a tendance à répliquer exactement ce qu’il se passe ailleurs, sans le contextualiser », reprend d’une voix placide l’entrepreneure. « Tant que ce ne sera pas résolu, on va demeurer au même stade, avec des ingénieurs et des web-développeurs qui vont rester au chômage parce que leur formation est ratée depuis la base ».
« Il y a un énorme décalage en Algérie entre la disponibilité des formations et la disponibilité des postes de travail dans les entreprises, qui sont seulement au début de leur digitalisation » regrette aussi M. Embarek.
Même son de cloche du côté du Burkina-Faso, où les formations faciles sont à trouver du côté des instituts privés, aux coûteux frais d’inscription. « L’entrée dans une université publique est conditionnée par la réussite à un concours qui est souvent sélectif. A l’école supérieure d’informatique par exemple, une trentaine de personne sont sélectionnées par an », explique Teg-Wende Idriss Tinto, ingénieur en informatique à Open Knowledge Burkina. Et malgré les différentes initiatives pour promouvoir l’apprentissage par les femmes, il constate que ces dernières restent encore très minoritaires dans le secteur.
Mais au-delà du marché du travail, c’est un certain état d’esprit d’adaptation qui semble nécessaire. « Beaucoup de formations sont décalées de la réalité du monde professionnel, mais cela est une conséquence du fait que les technologies et le numérique avancent rapidement. Au final, ce qu’il faut attendre de ces formations est de donner la capacité aux étudiants d’apprendre à apprendre et à s’adapter rapidement » analyse depuis Dakar Kelly Jean-Eudes Adediha, qui travaille pour Dimagi, une société de conception de logiciels.
En attendant un maillage plus resserré et des prix plus accessibles de ces formations, les principaux gagnants dans le domaine sur le continent restent en ligne. « La formation est devenue plus accessible via les réseaux sociaux et Youtube, car l’utilisation d’un ordinateur est depuis des décennies chose facile et abordable en Algérie », commente M. Embarek. Si le taux d’informatisation reste bas à l’échelle du continent, la progression des connexions à internet est exponentielle, grâce au smartphone, à hauteur de 41% chaque année. Les autodidactes ont de beaux jours devant eux. Les frontières un peu moins.