Businesse-CommerceEntrepreneuriatInternetJobs

Le numérique : la prochaine révolution des marchands ambulants sénégalais ?

Plus connectés qu’on pourrait le penser, en quête de reconnaissance, harassés par des journées à rallonge : les marchands ambulants des rues de Dakar ont la parole dans la dernière enquête de deux startups de marketing au Sénégal. Si le numérique commence à accompagner leur quotidien, il pourrait jouer un rôle plus important dans les années à venir, en leur rendant la vie moins difficile.

Ils s’appellent Alioune, Ndeye Awa, El-Hadj et Mohamed, mais ils n’existent pas. Pourtant, les témoignages de ces quatre personnages fictifs, créés sur la base des enquêtes menées par les agences YUX et Byfilling, en disent long sur les comportements des vendeurs de rue. Intitulé Marchands ambulants et numérique, le document de 32 pages est une bonne entrée en matière pour se projeter dans le quotidien de ces personnes qui ponctuent le nôtre à tous les carrefours. Si l’on peut regretter une partie consacrée au numérique in fine un peu maigre, les pistes données permettent déjà de briser certains clichés.

A commencer par celui de la déconnexion dont souffriraient les vendeurs de café, de fruits ou de crédit mobile. La plupart des sondés possède un smartphone, l’utilise à longueur de journée, et surfe plusieurs fois par semaine en prenant des forfaits internet à courte durée. Malgré une connexion parfois récalcitrante, c’est entre 1500 et 4000 francs CFA qui passent dans les données mobiles chaque semaine, une somme qui peut être importante pour ces vendeurs qui doivent parfois se contenter d’un bénéfice quotidien de 5000 CFA. Et c’est sans parler du coût des appels et SMS, qui peuvent s’élever jusqu’à 6000 CFA par semaine, d’autant plus qu’un certain nombre de ces commerçants est d’origine guinéenne et cherche à communiquer avec leur pays d’origine.

Car ce mode de communication est devenu de plus en plus répandu. Il en est ainsi de Ndeye Awa, vendeuse de fruits idéal-typique, qui gère ses commandes par SMS. Cela lui cause quelques contraintes, les messages reçus ne sont pas toujours assez précis pour préparer les commandes, sans parler du risque de perdre ou casser son téléphone… et perdre toute sa clientèle d’un coup. Quoi qu’il en soit, on constate qu’à son instar, de nombreux vendeurs gèrent sur un modeste feature phone leur commande dès le petit matin, dans les minibus qui sillonnent les embouteillages de la capitale sénégalaise.

Manque de reconnaissance

Surtout utilisés pour leurs fonctions de radio, pour Whatsapp, Imo et autres applis de communication, les smartphones pourraient jouer un rôle plus important dans la vie quotidienne de ces commerçants, décrite comme assez pénible.

Ce qui frappe avant tout, c’est le manque de reconnaissance de ces vendeurs, rarement décrits comme des entrepreneurs, ce qu’ils sont pourtant, avec leurs spécificités. Parfois dédaignés par la mairie, qui leur attribue des emplacements pas toujours avantageux, avec des contacts parfois très éphémères avec les clients, comme dans le cas des vendeurs de crédit mobile, ces marchands ambulants réalisent pour la plupart des journées de 12 à 15 heures, dans des conditions souvent difficiles.

Leur faible marge de négociations avec leurs employeurs comme leurs clients, leur exposition à la contrefaçon et la perception qu’ont d’eux les passants comme une gène les place en bas de la chaîne de valeur, pointe le rapport.

Le numérique comme porte de sortie ?

Celui-ci affiche en revanche un certain optimisme en proposant via le numérique des pistes d’améliorations. « La conclusion de ce rapport, c’est que les ambulants sont connectés en partie selon leurs profils, ils demandent des solutions qui répondent à leurs problèmes. Ce n’est pas évident de connaître leurs émotions et frustrations, donc il faut creuser pour trouver des idées pertinentes« , explique Yann Le Beux, cofondateur de YUX. Parmi cette boîte à idées sur laquelle s’achève le rapport, les deux entreprises avancent plusieurs suggestions, qui seront testées dans les mois à venir:

  • Un système de gestion de stocks par SMS et USSD pourrait voir le jour pour gagner en efficacité, suggèrent les startups à l’origine du document. Pourquoi ne pas imaginer en effet une simple système de calcul permettant de dresser des moyennes journalières pour éviter pénuries et déperditions ? Le gain de temps et de transport gagné serait colossal.
  • Le rapport propose aussi une application mobile d’achat en gros pour plusieurs marchands du même quartier. L’idée serait de regrouper les petits commerçants pour augmenter leur pouvoir de négociation. Imaginez une centaine de vendeurs de café achetant en une seule fois sa marchandise à une entreprise ? Celle-ci aurait tout intérêt à conserver un tel marché et donc à proposer une commission plus équitable au groupe de vendeurs. De quoi rappeler le réseau social Mon P’ti Voisinnage créé en France pour permettre aux particuliers de faire des économies… et des rencontres en achetant en gros.
  • Dans le même temps, il apparaît que le secteur du conseil et de la formation numériques a de beaux jours devant lui. Un certain nombre de ces vendeurs n’a pas fait d’études, ou s’est arrêté à la primaire, et se montre demandeur de formations en marketing et en langues étrangères. Un motif trop important pour que le rapport ne propose pas de développer des applis de conseil entre les vendeurs, voire même d’aide au marketing.

En poussant la logique plus loin de l’article, on peut se dire qu’avec la formation en pleine croissance des développeurs et les progrès de la géolocalisation, il sera bientôt possible d’inventer un Uber du marchand de fruits ou de café. Alors que « l’uberisation » est critiquée en Occident pour ses effets dérégulateurs, elle pourrait avoir l’effet inverse au Sénégal et dans la quasi-totalité des pays d’Afrique, où on constate l’existence de marchands de rue : ceux-ci pourraient s’organiser, grâce au numérique, pour peser plus lourd dans la chaîne de valeur, et gagner en visibilité aux yeux de leur clientèle. Au plus grand bonheur de celle-ci.

Tags

Loading ...