Après quelques années de rodage, le secteur des VTC s’est adapté aux réalités de l’Afrique subsaharienne et connaît une croissance très forte depuis plusieurs mois, dopée par la généralisation du smartphone et du mobile money. En tête de cette expansion, on retrouve un acteur bien connu : Uber.
« A mon avis, les VTC représentent le futur de l’Afrique, il n’y a pas de système de transport public aussi efficace qu’eux pour l’instant ». La voix sereine et enthousiaste, Maxime Dieudonné, jeune entrepreneur belge, est une figure connue de l’économie 2.0 en Ouganda. Implantée fin 2014 dans la capitale Kampala, Safeboda, la société qu’il a cofondée avec l’Ougandais Ricky Rapa Thomson et le Britannique Alastair Sussock, propose aux citadins de réserver via une appli mobile l’un des mille mototaxis qui composent leur flotte.
Mentionnée à plusieurs reprises dans la presse locale comme internationale, la startup incarne bien les différentes évolutions que vit le secteur en pleine expansion des VTC en Afrique subsaharienne. Pour s’implanter, elle a dû s’adapter aux réalités locales, avec le passage au mototaxi – ou boda-boda pour les intimes – principal système de transport utilisé à Kampala, où près de 80.000 deux-roues proposent leurs services.
Uber en tête de file
Après de premiers tâtonnements en 2013-2014, le marché des VTC dans les grandes capitales du continent s’envole presque aussi vite que celui du smartphone, qui a crû de 83% en 2015. Il faut dire que les avantages sont nombreux, tant pour les conducteurs de VTC que pour les usagers : plus de sécurité, sur la route comme de la part des conducteurs, qui sont en général certifiés et tracés et un prix la plupart du temps abordable et fixé par avance.
« J’ai déjà utilisé Uber à deux reprises, c’est un service très intéressant et économique », témoigne à ce titre Charles, jeune agent de sécurité à Accra, au Ghana, où la célèbre appli est présente depuis juin 2016. Déjà implantée dans 15 métropoles africaines, presque toutes dans des pays anglophones, la firme américaine commence à lorgner du côté des pays francophones. Cela n’empêche pas ceux-ci de voir croître d’autres entreprises similaires, à l’instar de Taxijet, qui permet la réservation de VTC et d’Africab, qui se positionne plutôt sur le haut-de-gamme, qui, toutes deux, prospèrent bien à Abidjan.
« Les débuts d’Uber n’étaient pas faciles », rappelle Maxime Dieudonné. « Au début, ils n’acceptaient que le paiement par carte de crédit, alors que seuls 2% des Kényans en possèdent une. Mais maintenant, ils acceptent le cash et le mobile money, et ils sont devenus leaders dans les principales capitales africaines. La plupart des startups ont mis la clé sous la porte ». Pour les chauffeurs de taxis « classiques », l’arrivée de ce poids lourd n’a pas été vue d’un très bon œil non plus, et quelques heurts ont suivi son implantation au Kenya et en Afrique du Sud.
D’autres réalités économiques
Mais hors des grandes capitales, l’écosystème du VTC reste diversifié. Au Rwanda, où les deux-roues restent le mode de transport privé privilégié, Barrett Nash met en avant chez Safemoto, la startup qu’il a fondée, des atouts similaires à son voisin ougandais de Safeboda : « Notre système garantit une certaine sécurité, nous traçons à distance nos conducteurs, qui doivent donner le meilleur d’eux-mêmes pour avoir de bonnes notes par les utilisateurs ».
Dopée par un climat des affaires attractif – le Rwanda fait partie des pays africains où la corruption est la plus faible – et un appui du gouvernement rwandais, l’entreprise permet à ses chauffeurs d’avoir des revenus assez élevés, d’entre 10 et 15 dollars journaliers, notamment grâce à des sponsors, ce qui permet aussi de pratiquer des prix plus bas que le marché.
Même stratégie d’intégration des réalités locales en Ouganda, où les conducteurs de Safeboda veillent à proposer un casque à leurs passagers, dans un pays où la circulation routière est la seconde cause de décès après le VIH. « Suite à une énorme demande de nos passagers, la nouvelle appli que nous lançons la semaine prochaine proposera des prix fixes et une structure de prix assez agressive, en dessous du marché, de manière à offrir un service supérieur à un prix inférieur », reprend l’entrepreneur belge.
Un contexte culturel important
De plus en plus populaires, les services de VTC en Afrique se distinguent de l’Europe et des Etats-Unis sur des différences culturelles, également. « Il est intéressant de noter que dans la plupart des régions d’Afrique, on constate une forte culture de possession commune et de partage, donc le partage de véhicules privés existe déjà, analyse Barnett Nash. Mais du coup, hors de ce cercle de confiance, les gens ne sont pas vraiment à l’aise à l’idée de partager leur véhicule avec quelqu’un qu’ils ne connaissent pas. Ce qui explique pourquoi la plupart des conducteurs d’Uber sur le continent sont des chauffeurs de taxi et non et des possesseurs de voitures qui voudraient monétiser leur bien ».
« Il faut aussi prendre en compte des différences culturelles comme l’habitude de lire des cartes, qui n’est pas si répandue en Ouganda. Nos clients auront plutôt tendance à décrire aux call-centers l’endroit où ils se trouvent », explique Maxime Dieudonné. Question cartographie, précisons que le système d’adresse à l’européenne est absent de la plupart des capitales africaines, et donc que cela complique aussi la tâche aux conducteurs comme aux passagers, qui doivent décrire le lieu où ils se trouvent.
Quoi qu’il en soit, les modèles économiques de ces compagnies restent à viabiliser. Les opérations de sponsoring font artificiellement baisser les prix lors des opérations de lancement des VTC, et chaque structure cherche à se démarquer des autres par une politique commerciale agressive. « On arrive à baisser les tarifs en jouant sur l’effet volume », explique Maxime Dieudonné. « Les chauffeurs de boda-boda traditionnels passent 70% du temps à attendre des clients, alors qu’ils sont davantage sollicités avec Safe Boda ». De quoi hausser les revenus des chauffeurs de deux-roues, qui fournissent un travail plus intense, dans des conditions de travail déjà pénibles. De quoi réduire, aussi, la quantité d’emplois disponibles dans le secteur, alors que beaucoup de jeunes fuient la précarité en devenant mototaxis.
Encore difficilement quantifiable à l’échelle du continent du fait de sa croissance effrénée, le secteur des VTC devra attendre avant de s’imposer dans des pays où une classe moyenne peine à se dégager. L’accès au smartphone est encore loin d’être garanti pour tous, et le coût des données mobiles est élevé dans certaines régions. Dans les pays déjà gagnés par la fièvre des applis de transport privé, les gouvernements pourraient avoir à faire face à un autre problème, sans système efficace de transport public : des embouteillages monstres.